Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
esclavage et traites négrières
11 avril 2006

La traite, un crime contre l'humanité ? (André Larané)

image5
Slave Barracoon. Anonyme, XIXe siècle.
Bureau du Patrimoine du Conseil Régional de la Martinique


La traite, un crime contre l'humanité ?

André LARANÉ

 

Le gouvernement français a promulgué le 21 mai 2001 la loi n° 2001-434 «tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité», à l'égal de la Shoah et des autres génocides du XXe siècle.

Cette loi inspirée par la députée guyanaise Christiane Taubira énonce dans son Article 1er : «La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité».

La loi est pavée de bonnes intentions... qui, comme c'est souvent le cas, mènent en enfer ! On peut y voir deux inconvénients majeurs :

– Le législateur a pris un soin maniaque à exclure de la condamnation la traite saharienne, pratiquée depuis plus de mille ans par les Arabes musulmans, ainsi que l'esclavage propre aux sociétés africaines elles-mêmes et plus généralement toutes les formes d'esclavage pratiquées par d'autres peuples que les Européens, encore aujourd'hui. Voilà une curieuse morale aux relents discriminatoires et racistes...

– La loi est inutile sinon hypocrite puisque les auteurs des crimes qu'elle dénonce sont morts depuis belle lurette et qu'elle ne met pas en cause les esclavagistes contemporains. Elle procède d'une tendance contemporaine à instrumentaliser l'Histoire pour satisfaire à bon compte les revendications communautaristes (Arméniens, Antillais, rapatriés d'Algérie,...). Au détriment de la recherche historique et de la concorde nationale.

Le plus grave, sans doute, est que la loi se fonde sur une représentation stéréotypée du passé et tombe allègrement dans le péché d'anachronisme. «Est-ce que les Grecs d'aujourd'hui vont décréter que leurs ancêtres les Hellènes commettaient un crime contre l'humanité car ils avaient des esclaves ? Cela n'a pas de sens !», lance à son propos l'historien Pierre Vidal-Naquet (Le Monde, 17 décembre 2005).

Aristote et Platon justifièrent l'esclavage ? Criminels contre l'humanité ! Interdisons la lecture de leurs oeuvres ! Voilà qui réjouira beaucoup de lycéens... Allons jusqu'au bout. Déboulonnons la statue de Louis XIV, qui édicta le Code Noir. Proscrivons la lecture de Montesquieu, actionnaire de compagnies de traite.

Débaptisons les rues et avenues qui portent les noms de George Washington et Thomas Jefferson, grands propriétaires d'esclaves !

Qu'importe que ces hommes d'une grande élévation morale aient sans doute mieux traité leurs esclaves que bien de leurs contemporains, en Europe continentale, ne traitaient leurs ouvriers agricoles ?... Qu'importe enfin que le second ait rédigé la Déclaration d'Indépendance des États-Unis d'Amérique : «Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur» ?

 

Crime contre l'humanité ?

L'exposé des motifs de la loi Taubira survole l'histoire du continent africain en faisant fi de la prudence des historiens. D'un côté, il prend pour argent comptant des légendes et des hypothèses à l'état de friche. De l'autre, il accomplit le tour de force de ne pas évoquer une seule fois la traite transaharienne pratiquée par les Arabes et l'esclavage pratiqué par les Africains depuis des millénaires !

Que nous enseigne une lecture plus précautionneuse de l'Histoire ? L'esclavage a été pratiqué dans toutes les sociétés à des échelles variables pendant des millénaires? Dans l'Antiquité, c'était le sort qui attendait ordinairement les prisonniers de guerre, qu'il eût été inhumain de massacrer et coûteux de nourrir en prison à ne rien faire.

Au mot latin servus (qui a donné serf) s'est substitué le mot esclave. Celui-ci vient du mot Slave parce qu'au début du Moyen Âge, les Vénitiens vendaient en grand nombre des Slaves païens aux Arabes musulmans.

Les Arabes faisaient une grande consommation d'esclaves blancs aussi bien que noirs, qu'ils avaient soin de châtrer pour les maintenir plus facilement dans l'obéissance et les empêcher de se multiplier.

Au XVe siècle, les Espagnols et les Portugais sont entrés au contact des musulmans d'Afrique du Nord et ont commencé de leur acheter des esclaves noirs pour les plantations de la péninsule hispanique.

Aux siècles suivants, la colonisation du Nouveau Monde a suscité des besoins de main-d'oeuvre inédits. Les Européens ont alors fait venir des esclaves d'Afrique, où ils n'avaient guère de peine à trouver des vendeurs (marchands arabes ou roitelets noirs).

Assez vite, les souverains, le pape et l'empereur ont condamné cette pratique mais sans succès faute de pouvoir intervenir outre-Atlantique. Aux Temps modernes (XVIIe et XVIIIe siècles), l'esclavage et la traite ont suscité en Occident le développement du racisme et le mythe de la supériorité de la race blanche.

Les gouvernements, par une lâcheté encore habituelle en politique, ont choisi d'encadrer l'esclavage pour en limiter les abus, faute de pouvoir l'interdire. C'est ainsi que Colbert et son fils, ministres de Louis XIV, édictèrent le Code Noir en 1685.

Dans le même temps, les élites éclairées d'Europe ont commencé de se mobiliser contre cette pratique indigne de la fraction la plus civilisée du monde. Au début sur le mode compassionnel, pour éviter de compromettre les précieux approvisionnements en sucre, chocolat et tabac (à l'image de nous-mêmes qui supportons assez bien les méfaits de l'exploitation pétrolière en Afrique noire).

C'est au début du XIXe siècle que les Anglais, les premiers, ont interdit la traite (autrement dit le commerce d'esclaves) puis l'esclavage proprement dit. Notons que la société occidentale est la première qui se soit élevée contre l'esclavage.

L'esclavage est la pire forme d'exploitation de l'homme par l'homme. Il a des aspects très divers. Travail forcé dans les anciennes plantations du Nouveau Monde ou de l'océan Indien. Travail forcé dans les actuelles propriétés du Moyen-Orient et certaines usines d'Asie. Services sexuels. Vente d'adolescent(e)s, parfois par leur propre père...

L'esclavage est une forme d'exploitation. La pire qui soit. A éradiquer où que ce soit et par tous les moyens possibles. Est-ce pour autant un crime ? Un crime contre l'humanité ? Où s'arrête la frontière entre l'esclavage, «crime contre l'humanité», et l'esclavage, infraction au Code du Travail ? À ces questions, je me garderai de répondre car je sais ce qu'il en coûte aujourd'hui, en France, de débattre d'un phénomène historique décrété «crime contre l'humanité»...

André Larané*

 

 

 

* André Larané est licencié en Histoire et ingénieur centralien,
il est concepteur et animateur du site Jours d'Histoire
: Hérodote.net

- le site d'André Larané :
http://www.herodote.net/editorial0211.htm

 

 

 

 

fers

- retour à l'accueil

Publicité
Publicité
Commentaires
L
la personne qui à écrit en 2009 n'a pas compris visiblement votre position volontairement ambigüe mais claire dans son opposition à dénoncer l'esclavage comme un crime contre l'humanité.Tour de passe réussi ..... vos autres prises de position sur l'histoire sont tout aussi éclairantes......pragmatisme contre humanisme.....
K
je trouves que ce que vous faites est bien je vous encourage car la traite negriere est vraiment un crime contre contre l'humanite
esclavage et traites négrières
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité