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esclavage et traites négrières

25 février 2024

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1 juin 2009

Les esclavages oubliés de la cérémonie du 10 mai (Thierry Portes) - article publié le 12 mai 2006

jacquesmartial
Jardin du Luxembourg, 10 mai 2006


les esclavages oubliés

de la cérémonie du 10 mai

L'analyse de Thierry Portes (Grand reporter au service Société, au Figaro)
09 mai 2006, (Rubrique Opinions)

Officiellement, il s'agit d'honorer, pour la première fois en métropole, l'abolition de l'esclavage et la mémoire des victimes de ce crime contre l'humanité. Mais les contours de cette nouvelle célébration ont été curieusement fixés. A un an de la présidentielle, l'opinion risque ainsi d'être plongée dans un bain de confusion et de dériver entre repentance et ressentiment.

L'intention initiale demeure louable. En 1998, les départements d'outre-mer ont commémoré avec ferveur le20_decembre_1848_gariga décret de la IIe République du 27 avril 1848, qui a définitivement aboli l'esclavage sur le sol français. Ce 150e anniversaire, qui a favorisé de nombreux débats sur l'histoire des Domiens, n'a eu que peu d'échos en métropole. Sauf ce 23 mai 1998, jour où défilèrent à Paris entre République et Nation plusieurs dizaines de milliers d'Antillais, Réunionnais, Guyanais et Africains.


Un an plus tard, le 18 février 1999, la députée de Guyane Christiane Taubira monte à la tribune de l'Assemblée. Son propos, digne et poignant, conduira à l'adoption de la loi du 10 mai 2001 qualifiant l'esclavage de crime contre l'humanité ; puis à la création, en 2004, par Brigitte Girardin, à l'époque ministre de l'Outre-mer, d'un «comité pour la mémoire de l'esclavage» piloté par des personnalités domiennes ; et donc, finalement, à cette journée commémorative du 10 mai, date préférée par ce comité à celle du 27 avril (1848).

la traite orientale

Fruit d'un débat franco-français ou, plus exactement, d'un dialogue entre l'outre-mer et la métropole, la nouvelle commémoration s'est ainsi peu à peu enfermée dans d'étroites considérations. À cet égard édifiant, l'article 1er de la loi, promulguée le 21 mai 2001, affirme : «La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVesiècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité.»

Remonter à l'Égypte ancienne, à Athènes ou à Rome n'était sans doute pas nécessaire. En revanche, ne s'intéresser à l'esclavage qu'«à partir du XVe siècle», époque à laquelle les Européens ont abordé les côtes 2262018502.08.lzzzzzzzafricaines, c'est oublier la traite orientale, organisée depuis le VIIe siècle par les Arabo-musulmans et leurs complices noirs-africains. Et c'est donc fermer les yeux sur un trafic, qui s'est maintenu au XXe siècle ; et sur une pratique, l'esclavage, qui se poursuit encore aujourd'hui, en Mauritanie, au Niger, au Soudan et dans les Etats du golfe Persique. Jusqu'à son abolition effective au tournant des années 1860, plus de onze millions d'esclaves ont été déportés par les différentes traites atlantiques, organisées par les Européens. Les traites orientales, contrôlées par les Arabo-musulmans, ont déporté quelque dix-sept millions d'esclaves entre le VIIe siècle et les années 1920. Quant à la troisième traite, le commerce des esclaves entre Africains noirs, elle aurait concerné quelque quatorze millions d'individus.

Selon Patrick Manning, après 1850, «les achats africains d'esclaves surpassèrentperspectives_manning le volume combiné des esclaves exportés en Occident et en Orient». Olivier Pétré-Grenouilleau, dans un récent ouvrage (1), en vient à démontrer que «l'Afrique noire n'a pas seulement été une victime de la traite, elle a été l'un de ses principaux acteurs». Et d'ajouter que, «globalement, les pouvoirs africains sont restés maîtres des jeux de l'échange, tout le temps que la traite négrière dura».

traite et colonisation ?

359_013_lpLe lien causal entre colonisation et esclavage, évident pour les Antillais, Guyanais et Réunionnais, mérite également d'être précisé. «La traite par l'Atlantique, rappelle Olivier Pétré-Grenouilleau, s'est achevée quelques décennies avant le processus ayant véritablement conduit à la colonisation de l'Afrique noire.» S'ils ont exporté des esclaves dans leurs possessions des Amériques et des Caraïbes, c'est la lutte contre l'esclavage que les Européens exportèrent dans leurs nouvelles colonies africaines. La théorie abolitionniste, née et forgée en Occident, servit même à justifier l'avancée des armées.

Aboli en France en 1848, l'esclavage le fut par conséquence la même année en Algérie. Le Maroc avait de sa propre initiative pris les devants, mais ce sont les Français qui fermèrent définitivement les marchés d'esclaves publics en 1912, l'éradication de cette pratique devenant totale avec la «pacification» du Sud en 1932.

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En Tunisie, l'établissement du protectorat français en 1881 conduit le bey à déclarer illégal l'esclavage en 1890. Quant à l'Afrique de l'Ouest, elle fut soumise au même processus. De Saint-Louis du Sénégal jusqu'aux confins sahariens de la Mauritanie, la France appliqua le décret de 1848. Mais avec opportunisme, car il ne s'agissait pas de froisser les tribus maures, alliées du pouvoir colonial, et attachées à leur commerce séculaire.

De son côté l'Angleterre, qui s'engagea la première dans le combat abolitionniste, fit à partir des années 1840 pression sur l'empire Ottoman. En 1857, la traite, mais pas l'esclavage, fut interdite sur les territoires contrôlés par la Sublime Porte, à l'exception de la province sacrée du Hedjaz, autour de La Mecque. Et en 1882, l'occupation de l'Egypte par l'Angleterre rendit plus effective les résolutions prises, en coupant l'empire Ottoman de sa principale source de captifs. Les commerces d'esclaves arabo-musulmans et noirs-africains ont certes été moins étudiés que la traite Atlantique. Mais, puisque la loi de 2001 et la mission du comité pour la mémoire préconisent d'accorder à la traite négrière et à l'esclavage une «place conséquente» dans les programmes scolaires, il faut espérer que certains oublis seront comblés dans les futurs manuels de nos enfants.

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(1) Les Traites négrières, essai d'histoire globale, Olivier Pétré-Grenouilleau, Gallimard, 32 €.














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6 mai 2006

40 élus réclament l'abrogation de la loi Taubira

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40 élus réclament l'abrogation

de la loi Taubira


NOUVELOBS.COM - 6 mai 2006

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Ces députés UMP demandent à Jacques Chirac d'abroger un article sur l'enseignement de l'esclavage.

Quarante députés UMP ont demandé vendredi 5 mai à Jacques Chirac d'abroger un article de la loi dite "Taubira" sur l'enseignement de l'esclavage, au nom d"'un parallélisme des formes et soucis d'égalité de traitement" après la suppression de l'article sur les aspects positifs de la colonisation. Originaire de Guyane, le ministre du Tourisme Léon Bertrand n'a pas caché son "incompréhension" devant cette initiative.
Dans une lettre au président, les députés avancent qu"'il conviendrait d'abroger l'article 2 de la loi du 21 mai 2001, dite "loi Taubira", qui précise que 'les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent". Et ce nom au du "parallélisme des formes et par soucis d'égalité de traitement".
Ces élus de la majorité, avec à leur tête le député UMP des Alpes-Maritimes Lionnel Luca, déplorent en effet le déclassement de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 qui évoquait notamment à travers le rôle positif de la colonisation française. Cet article avait été retiré sur intervention de Jacques Chirac après de longues semaines de polémique.



Incompréhension de Bertrand
Dans un communiqué, le ministre délégué au Tourisme Léon Bertrand, originaire de Guyane, a manifesté son "incompréhension à l'égard de certains de ses collègues de l'UMP".
M. Bertrand "regrette que sous le couvert d'un 'parallélisme des formes' certains puissent demander l'abrogation de l'article 2 de la loi du 21 mai 2001, en oubliant que ce qui importe le plus aujourd'hui, c'est de trouver dans ces questions de mémoire, une identité de fond, qui permettent à la société française d'avancer d'un même pas, en acceptant toute son histoire".
A l'approche de la première journée des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions pour tous les français, le 10 mai prochain, Léon Bertrand souligne qu"'il faut rechercher ensemble les voies du dialogue et de l'apaisement".

"Révisionnisme historique"
Le secrétaire national du PS à l'Outre-mer Victorin Lurel "dénonce solennellement les nouvelles tentations de révisionnisme historique de l'UMP" qui "persiste dans la provocation en demandant aujourd'hui l'abrogation de la loi du 21 mai 2001".
Dans un communiqué, le député socialiste de Guadeloupe estime que "cette réitération des attaques à la dignité des Français, notamment ceux originaires de l'Outre-mer, dévoilent le vrai visage de l'UMP: loin des discours lénifiants de sa direction, les parlementaires UMP ont bel et bien la nostalgie de la France coloniale et esclavagiste".
Le parti communiste juge que la démarche des députés UMP constitue "une insulte faite aux enfants de la République". "Une fois encore la droite nous montre son véritable visage".
"Au nom d'un parallélisme douteux, il s'agirait de faire disparaître la réintégration de la mémoire des descendants d'esclaves de la loi commune de notre peuple", déplore le parti de Marie-George Buffet dans un communiqué. "Le PCF affirme son attachement à voir maintenue, en l'état, cette loi". (AP)




40 députés s'attaquent

à la loi Taubira

 
                        
40 députés UMP ont demandé à Jacques Chirac d'abroger un article de la loi Taubira
Il s'agit de l'article 2 de cette loi "tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité".
L'article 2 stipule que "les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent".

Les signataires, grands défenseurs du "rôle positif" de la colonisation
Les 40 députés UMP signataires de la lettre au Président de la république avaient vigoureusement défendu l'article de la loi sur les rapatriés qui évoquaient le "rôle positif" de la colonisation, et certains d'entre eux étaient à l'origine de ce texte finalement abrogé par le chef de l'Etat.
Ils invoquent d'ailleurs une similitude formelle entre l'article abrogé et l'article 2 de la loi Taubira, pour réclamer sa suppression.
"Le 15 février dernier, suite au déclassement par le Conseil constitutionnel, l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 a été abrogé (...) Au titre du parallélisme des formes, et par soucis d'égalité de traitement, il conviendrait d'abroger l'article 2 de la loi du 21 mai 2001, dite "loi Taubira", soulignent les 40 élus dans une lettre au chef de l'Etat. Parmi les signataires de la lettre, figurent entre autres Lionnel Luca (très remarqué pour sa défense des "aspects positifs" de la colonisation), Christian Kert, Olivier Dassault, Jérôme Rivière, Bernard Deflesselles, Jean-Paul Garraud, Jacques Myard, François Guillaume, Guy Teissier, Thierry Mariani, Christian Vanneste et Michèle Tabarot. Plusieurs d'entre eux sont députés des Alpes-Maritimes, où se trouvent de nombreux rapatriés d'Algérie.

Un tollé à gauche et à l'UDF
Cette demande qui intervient à quelques jours de la commémoration, le 10 mai,
du bicentenaire de l'abolition de l'esclavage, a suscité un tollé à gauche et à l'UDF.
Jean-Christophe Lagarde, député UDF de Seine-Saint-Denis et porte-parole à l'Assemblée nationale sur les questions relatives à l'Outre-Mer, a exprimé samedi sa "grande indignation" et a qualifié de "provocation inutile" cette initiative.
"À quelques jours des commémorations à la mémoire des victimes de l'esclavage", M. Lagarde, a qualifié dans un communiqué, cette initiative de "provocation inutile et aigrie à l'égard des Français originaires de l'Outre-mer et des descendants d'esclaves".
Le PS a "dénoncé solennellement", vendredi dans un communiqué, "les nouvelles tentations de révisionnisme historique de l'UMP" évoquant la demande de 40  députés  UMP d'abroger un article de la "loi Taubira" sur l'esclavage.
"Après avoir enjoint l'enseignement de l'histoire positive de la colonisation par le funeste article 4 de la loi du 23 février 2005, le parti majoritaire persiste dans la provocation en demandant aujourd'hui l'abrogation de la loi du 21 mai 2001", a déclaré Victorin Lurel, secrétaire national à l'Outre-mer du PS.

Baroin désapprouve l'initiative
Le ministre de l'Outre-mer, François Baroin  s'est également déclaré  opposé à l'initiative des quarante députés UMP qui ont demandé à Jacques Chirac d'abroger un article de la loi Taubira sur l'esclavage.
"Le débat est derrière nous. Il faut célébrer cette date et la commémorer, ne pas renouveler, raviver ce qui pour beaucoup d'Antillais représentent des blessures".
"Ce débat a animé la société française pendant plusieurs mois, il a été animé par une comité pour la mémoire de l'esclavage et a permis au président de la République d'annoncer la date d'une double mémoire, celle de l'esclavage et de son abolition".
"L'esprit du président de la République est d'apporter une vision universelle à la portée de cette date du 10 mai qui place la France au premier rang des pays qui ont reconnu l'esclavage comme crime contre l'humanité", a poursuivi le ministre.

source : info.france2


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17 avril 2006

Traites négrières, esclavage : les faits historiques (article du journal Le Monde)

99

 

Traites négrières, esclavage :

les faits historiques

Jérôme GAUTHERET

 

C'est une histoire très ancienne, mais qui n'a jamais été si actuelle. Un phénomène né pendant l'Antiquité, et dont on ne prit réellement conscience qu'au XVIIIe siècle.

"L'esclavage est l'établissement d'un droit fondé sur la force, lequel droit rend un homme tellement propre àimage7 un autre homme qu'il est le maître absolu de sa vie, de ses biens et de sa liberté", écrivait le chevalier de Jaucourt dans l'Encyclopédie, en 1755. Un état de mort sociale, de dépossession de soi que Victor Schoelcher, architecte de l'abolition en France, qualifia de "crime de lèse-humanité".



Mais c'est aussi un phénomène historique et culturel complexe, qui englobe des aires géographiques immenses et, pour les traites modernes, plus de mille ans d'histoire. Qui bouleversa plus particulièrement le continent africain et fit le lit du racisme, véhiculant l'image d'un Noir inférieur, proche de l'animalité et donc, à ce titre, susceptible d'être acheté, vendu, échangé. Une marchandise humaine.

2070734994.08.lzzzzzzz1À l'heure où prospère la "concurrence des mémoires", et tandis que l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau, auteur du remarquable Les Traites négrières, est assigné en justice, stigmatisé d'une infamante accusation de révisionnisme, le sujet est de plus en plus explosif : aussi apparaît-il essentiel de faire le point sur l'état des connaissances historiques.

 

 

 

 

 

Traites africaines et traites orientales
L'Afrique a connu des trafics d'esclaves dès la plus haute Antiquité, mais c'est au VIIe siècle de notre ère, avec l'apparition d'un empire musulman et sa spectaculaire expansion, qu'est né le cadre du système économique qu'on appellera la traite. En terre d'islam, la loi interdisait de réduire en esclavage les hommes libres : en revanche, on pouvait se procurer des captifs en dehors de l'empire. Ainsi sont nées les premières routes d'un commerce à grande échelle d'êtres humains.

Le monde musulman ne s'approvisionna pas uniquement en Afrique. Il y eut également des captifs venus duheers Caucase, d'Europe de l'Est ou d'Asie centrale. Mais les Africains furent de loin les plus nombreux, et cette tendance ne fit que s'accentuer au fil du temps. Avec la traite se mit en place une justification idéologique de l'esclavage des Noirs, fondée sur des stéréotypes racistes, et des justifications religieuses, comme celle de la malédiction de Cham. Les Noirs étaient censés descendre de ce fils de Noé maudit par son père : ils étaient donc condamnés à la servitude.

Les routes empruntées par ce trafic sont assez bien connues. On sait également qu'il atteint son apogée au XIXe siècle. Pour ce qui est de son ampleur, les estimations chiffrées restent fragiles : l'historien américain Ralph Austen avance le chiffre de 17 millions de personnes, du VIIe au XIXe siècle. Mais il reconnaît que ce chiffre est relativement imprécis, estimant sa marge d'erreur à plus ou moins 25 %.

Ces traites restent mal connues, tributaires de représentations parcellaires (on a longtemps minimisé le rôle économique des esclaves) et d'une sombre légende forgée au XIXe siècle par les Européens, dans le but de légitimer leur propre colonisation.

Il en est de même pour ce qu'on appelle les "traites intérieures", sur lesquelles les informations sont très lacunaires. En la matière, les recherches sont peu nombreuses. Il est cependant établi qu'il y eut également un commerce à l'échelle de l'Afrique subsaharienne : l'historien Patrick Manning affirme que ces traites intérieures auraient fait 14 millions de victimes, capturées suite à des guerres entre Etats ou à des razzias.

Ainsi, quand commencèrent les "traites atlantiques", un système était déjà en place. Comme le rappelait l'historien Fernand Braudel (1902-1985), "la traite négrière n'a pas été une invention diabolique de l'Europe".

 

 

 

 

 

Les traites occidentales
La naissance de la traite atlantique a souvent été interprétée comme une profonde rupture en Occident, voyant renaître un esclavage qui avait disparu depuis la fin de l'Antiquité. En réalité, le phénomène avait constamment reculé durant le Moyen Age, mais il subsistait en Méditerranée un commerce dont les victimes les plus nombreuses étaient des juifs, des slaves et surtout, à partir du XVe siècle, des Africains. Le trafictrinidad_coolies_canne_sucrsaccharum_officinarum_301 changea d'échelle et de destination au XVIe siècle, avec la colonisation des Amériques. La violence des conquérants hispaniques et le choc microbien dépeuplèrent vite le continent, créant une pénurie de main-d'oeuvre. D'autant plus que les Européens entreprirent de lancer sur place des cultures de production, en particulier celle de la canne à sucre.

 

canne à sucre

 

 

 

Les Portugais, lancés dès le début du XVe siècle à la découverte des côtes africaines, en produisirent à Sao Tomé, au large de l'Afrique, avant de s'implanter au Brésil, inaugurant bientôt la première grande route de la traite.

Les circuit de la déportation se mirent vite en place. Les esclaves étaient acheminés par des négriers africains jusqu'aux côtes (on estime que 2 % seulement des prisonniers qui traversèrent l'Atlantique avaient été capturés par des Occidentaux). Commençait alors la longue traversée des esclaves, mortelle pour de nombreux captifs.

Le sort des survivants n'était pas plus enviable : la plupart d'entre eux étaient dirigés vers des plantations tenues par des colons qui devaient rembourser au plus vite leur "investissement". La moitié d'entre eux décédaient dans les trois années suivant leur arrivée. Cette effrayante mortalité et le déséquilibre des sexes expliquent que la demande ne se tarissait jamais : il fallait sans cesse de nouveaux esclaves pour que le système colonial fonctionne.

Les données chiffrées concernant cette traite sont assez fiables : elles ont fait l'objet de nombreuses études quantitatives. Un consensus [accord] se dessine autour du chiffre de 11 millions d'Africains déportés, dont 9,5 millions arrivèrent en Amérique. Dominé au XVIe et au début du XVIIe siècle par les puissances ibériques, ce commerce connaît son apogée au XVIIIe, alors que la France, et surtout l'Angleterre, constituent dans les Caraïbes de prospères colonies, fondées sur l'exploitation à outrance des esclaves africains.

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Le rôle de la France
Comme les Anglais, les Français entrèrent en scène plus tardivement. À partir du milieu du XVIIe siècle, ils commencèrent à peupler leurs colonies de captifs africains. Autorisée par Louis XIII en 1642, la traite prit rapidement son essor, atteignant son apogée au XVIIIe siècle.

En 1685 est édicté le Code noir, texte censé régir le quotidien des esclaves dans les colonies. Toutes lescode_noir étapes de la vie y sont réglementées, de la naissance à la mort. Pour pouvoir se marier, l'esclave doit avoir l'accord de son maître ; ses enfants appartiendront au propriétaire de la mère. Le texte contient également des dispositions de police et une échelle des peines applicables, allant jusqu'à la mort pour les auteurs de voies de fait sur un Blanc ou les fuyards récidivistes.

En matière civile, l'esclave n'a pas le droit de propriété et ne peut transmettre d'héritage à ses descendants. En contrepartie, le propriétaire doit se montrer modéré dans ses punitions, nourrir ses esclaves et les vêtir correctement. Edifiant pour ce qu'il dit du discours idéologique qui accompagne la traite, ce texte ne doit pourtant pas être pris au pied de la lettre : dans la pratique, la seule loi qui régnait sur les plantations était celle de l'arbitraire des planteurs. Le Code noir ne fut jamais réellement appliqué dans son intégralité.

En métropole, les principaux bénéficiaires du trafic sont les ports de l'Atlantique. Les expéditions négrières nantesfrançaises ont été répertoriées par l'historien Jean Mettas, qui a retrouvé 3 317 expéditions, partant de 17 ports, au premier rang Nantes, Le Havre, La Rochelle et Bordeaux.

Dans ces villes, le système colonial a permis à nombre de négociants d'amasser des fortunes considérables. A la fin du XVIIIe siècle, les bénéficiaires du système forment un groupe de pression influent en métropole : ils seront un frein puissant à l'heure des mouvements en faveur de l'abolition.

 

 

 

 

le port de Nantes sous l'Ancien Régime

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le port de Bordeaux en 1790

 

L'abolition inachevée
Comme le souligne l'historienne Nelly Schmidt, "les premiers abolitionnistes, ce sont les esclaves eux-mêmes". Dès le début du XVIe siècle, les révoltes étaient fréquentes, très sévèrement réprimées. On vit même s'édifier, dans les Caraïbes et en Amérique du Sud, des forteresses défendues par des esclaves rebelles, que les Européens eurent parfois le plus grand mal à maîtriser.
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En Occident, les Quakers de Pennsylvanie sont les premiers, à la fin du XVIIe siècle, à s'élever contre l'esclavage. Les Encyclopédistes se prononcèrent eux aussi contre cette institution. Mais c'est en Angleterre que se mit réellement en place le mouvement anti-esclavagiste mondial, porté par deux figures, William Wilberforce et Thomas Clarkson, et par une propagande efficace (libelles, campagnes de boycott, pétitions...).

William Wilberforce (1759-1833)

 

La révolte de Saint-Domingue (1791-1793) [rôle de Toussaint Louverture] provoque la première abolition delouverture l'esclavage, le 16 pluviose an II (4 février 1794). Celle-ci fut provisoire — Napoléon revint dessus en 1802, au prix d'une répression sanglante et de la perte de Saint-Domingue, qui devint Haïti —, et partielle : le décret ne fut jamais appliqué à la Réunion et la Martinique était occupée par les Anglais...

 

 

 

 

Toussaint Louverture (1743-1803)

 

Mais le mouvement était enclenché, irréversible. En 1807, les Anglais interdisent la traite au large de l'Afrique. Le commerce des esclaves continue, mais il devient peu à peu clandestin, à mesure que lar4_biard_001zl'abolitionnisme gagne du terrain. En 1833, Londres l'abolit. La France, de son côté, mettra fin à cette institution — cette fois définitivement — par les décrets du 27 avril 1848. [abolition esclavage 1848] [Victor Schoelcher]

 

 

 

François Biard, L'abolition de l'esclavage
dans les colonies françaises
(27 avril 1848), 1849

Les puissances occidentales suivent le mouvement, si bien qu'aux Etats-Unis, l'esclavage est aboli en 1865, à l'issue de la guerre de sécession. En 1888, avec son abolition au Brésil, la page se tourne sur le continent américain.

Mais le phénomène n'est pas éradiqué pour autant : les puissances européennes continueront à tolérer cette institution dans leurs colonies d'Afrique, et à abuser du travail forcé. Albert Londres le notait en 1897 : "L'esclavage en Afrique n'est aboli que dans les déclarations ministérielles de l'Europe."

Plus d'un siècle après, malgré les condamnations de l'ONU et les dénonciations des ONG, celui-ci est loin d'avoir disparu. L'abolition de l'esclavage reste un combat très actuel.

Jérôme Gautheret
Le Monde, 10 janvier 2006

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Victor Schoelcher (1804-1893), fait abolir l'esclavage
par la Seconde République en avril 1848

 

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À lire

Dans le domaine de l'esclavage et de la traite, les travaux de recherche sont très nombreux, mais les2213622221.01.lzzzzzzz ouvrages de synthèse sont très rares. Signalons tout de même, au-delà des Traites négrières, d'Olivier Pétré-Grenouilleau (Gallimard, "Bibliothèque des histoires", 2004) :

- Une histoire de l'esclavage. De l'Antiquité à nos jours, de Christian Delacampagne, Le Livre de poche, "Références", 6,95 €.

- L'abolition de l'esclavage. Cinq siècles de combats, XVIe-XXe siècle, de Nelly Schmidt, Fayard, 23 €.

LA VÉRITÉ SUR L'ESCLAVAGE, numéro spécial de la revue L'Histoire (octobre 2003).

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11 avril 2006

La traite, un crime contre l'humanité ? (André Larané)

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Slave Barracoon. Anonyme, XIXe siècle.
Bureau du Patrimoine du Conseil Régional de la Martinique


La traite, un crime contre l'humanité ?

André LARANÉ

 

Le gouvernement français a promulgué le 21 mai 2001 la loi n° 2001-434 «tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité», à l'égal de la Shoah et des autres génocides du XXe siècle.

Cette loi inspirée par la députée guyanaise Christiane Taubira énonce dans son Article 1er : «La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité».

La loi est pavée de bonnes intentions... qui, comme c'est souvent le cas, mènent en enfer ! On peut y voir deux inconvénients majeurs :

– Le législateur a pris un soin maniaque à exclure de la condamnation la traite saharienne, pratiquée depuis plus de mille ans par les Arabes musulmans, ainsi que l'esclavage propre aux sociétés africaines elles-mêmes et plus généralement toutes les formes d'esclavage pratiquées par d'autres peuples que les Européens, encore aujourd'hui. Voilà une curieuse morale aux relents discriminatoires et racistes...

– La loi est inutile sinon hypocrite puisque les auteurs des crimes qu'elle dénonce sont morts depuis belle lurette et qu'elle ne met pas en cause les esclavagistes contemporains. Elle procède d'une tendance contemporaine à instrumentaliser l'Histoire pour satisfaire à bon compte les revendications communautaristes (Arméniens, Antillais, rapatriés d'Algérie,...). Au détriment de la recherche historique et de la concorde nationale.

Le plus grave, sans doute, est que la loi se fonde sur une représentation stéréotypée du passé et tombe allègrement dans le péché d'anachronisme. «Est-ce que les Grecs d'aujourd'hui vont décréter que leurs ancêtres les Hellènes commettaient un crime contre l'humanité car ils avaient des esclaves ? Cela n'a pas de sens !», lance à son propos l'historien Pierre Vidal-Naquet (Le Monde, 17 décembre 2005).

Aristote et Platon justifièrent l'esclavage ? Criminels contre l'humanité ! Interdisons la lecture de leurs oeuvres ! Voilà qui réjouira beaucoup de lycéens... Allons jusqu'au bout. Déboulonnons la statue de Louis XIV, qui édicta le Code Noir. Proscrivons la lecture de Montesquieu, actionnaire de compagnies de traite.

Débaptisons les rues et avenues qui portent les noms de George Washington et Thomas Jefferson, grands propriétaires d'esclaves !

Qu'importe que ces hommes d'une grande élévation morale aient sans doute mieux traité leurs esclaves que bien de leurs contemporains, en Europe continentale, ne traitaient leurs ouvriers agricoles ?... Qu'importe enfin que le second ait rédigé la Déclaration d'Indépendance des États-Unis d'Amérique : «Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur» ?

 

Crime contre l'humanité ?

L'exposé des motifs de la loi Taubira survole l'histoire du continent africain en faisant fi de la prudence des historiens. D'un côté, il prend pour argent comptant des légendes et des hypothèses à l'état de friche. De l'autre, il accomplit le tour de force de ne pas évoquer une seule fois la traite transaharienne pratiquée par les Arabes et l'esclavage pratiqué par les Africains depuis des millénaires !

Que nous enseigne une lecture plus précautionneuse de l'Histoire ? L'esclavage a été pratiqué dans toutes les sociétés à des échelles variables pendant des millénaires? Dans l'Antiquité, c'était le sort qui attendait ordinairement les prisonniers de guerre, qu'il eût été inhumain de massacrer et coûteux de nourrir en prison à ne rien faire.

Au mot latin servus (qui a donné serf) s'est substitué le mot esclave. Celui-ci vient du mot Slave parce qu'au début du Moyen Âge, les Vénitiens vendaient en grand nombre des Slaves païens aux Arabes musulmans.

Les Arabes faisaient une grande consommation d'esclaves blancs aussi bien que noirs, qu'ils avaient soin de châtrer pour les maintenir plus facilement dans l'obéissance et les empêcher de se multiplier.

Au XVe siècle, les Espagnols et les Portugais sont entrés au contact des musulmans d'Afrique du Nord et ont commencé de leur acheter des esclaves noirs pour les plantations de la péninsule hispanique.

Aux siècles suivants, la colonisation du Nouveau Monde a suscité des besoins de main-d'oeuvre inédits. Les Européens ont alors fait venir des esclaves d'Afrique, où ils n'avaient guère de peine à trouver des vendeurs (marchands arabes ou roitelets noirs).

Assez vite, les souverains, le pape et l'empereur ont condamné cette pratique mais sans succès faute de pouvoir intervenir outre-Atlantique. Aux Temps modernes (XVIIe et XVIIIe siècles), l'esclavage et la traite ont suscité en Occident le développement du racisme et le mythe de la supériorité de la race blanche.

Les gouvernements, par une lâcheté encore habituelle en politique, ont choisi d'encadrer l'esclavage pour en limiter les abus, faute de pouvoir l'interdire. C'est ainsi que Colbert et son fils, ministres de Louis XIV, édictèrent le Code Noir en 1685.

Dans le même temps, les élites éclairées d'Europe ont commencé de se mobiliser contre cette pratique indigne de la fraction la plus civilisée du monde. Au début sur le mode compassionnel, pour éviter de compromettre les précieux approvisionnements en sucre, chocolat et tabac (à l'image de nous-mêmes qui supportons assez bien les méfaits de l'exploitation pétrolière en Afrique noire).

C'est au début du XIXe siècle que les Anglais, les premiers, ont interdit la traite (autrement dit le commerce d'esclaves) puis l'esclavage proprement dit. Notons que la société occidentale est la première qui se soit élevée contre l'esclavage.

L'esclavage est la pire forme d'exploitation de l'homme par l'homme. Il a des aspects très divers. Travail forcé dans les anciennes plantations du Nouveau Monde ou de l'océan Indien. Travail forcé dans les actuelles propriétés du Moyen-Orient et certaines usines d'Asie. Services sexuels. Vente d'adolescent(e)s, parfois par leur propre père...

L'esclavage est une forme d'exploitation. La pire qui soit. A éradiquer où que ce soit et par tous les moyens possibles. Est-ce pour autant un crime ? Un crime contre l'humanité ? Où s'arrête la frontière entre l'esclavage, «crime contre l'humanité», et l'esclavage, infraction au Code du Travail ? À ces questions, je me garderai de répondre car je sais ce qu'il en coûte aujourd'hui, en France, de débattre d'un phénomène historique décrété «crime contre l'humanité»...

André Larané*

 

 

 

* André Larané est licencié en Histoire et ingénieur centralien,
il est concepteur et animateur du site Jours d'Histoire
: Hérodote.net

- le site d'André Larané :
http://www.herodote.net/editorial0211.htm

 

 

 

 

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8 avril 2006

L'impact économique des traites négrières (Olivier Pétré-Grenouilleau)

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affiche pour une vente d'esclaves en 1769
dans les colonies britanniques d'Amérique
(Musée d'ethnographie de Genève)



l'impact économique des traites négrières

interview d'Olivier PÉTRÉ-GRENOUILLEAU

 

Olivier Pétré-Grenouilleau est le meilleur spécialiste français de l'histoire de l'esclavage. Cet agrégé de 43 ans, professeur à l'université de Bretagne-sud (Lorient), n'a pas peur de bousculer la «bien-pensance». Défenseur de l'histoire globale, il vient de publier un ouvrage de référence, Les Traites négrières (Gallimard), qui s'efforce d'établir les faits avant de faire la morale.2070734994.08.lzzzzzzz

Ce spécialiste de l'esclavage dissèque l'impact économique d'un trafic que l'Orient et l'Afrique ont mené plus longtemps que l'Occident.

***

 

 

 

 

 

 

Les traites négrières ont été le fait des Européens mais, on le sait aujourd'hui, tout autant des Africains et des musulmans. Où en est-on de ce qu'on a appelé la «querelle des chiffres ?»
- Il faut d'abord dire que le caractère abominable de la traite n'est pas corrélé aux chiffres. Le fait que la traite orientale - en direction de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient - ait affecté plus de gens ne doit nullement conduire à minimiser celle de l'Europe et des Amériques. En revanche, je suis surpris que certains soient scandalisés que l'on ose parler des traites non occidentales. Toutes les victimes sont honorables et je ne vois pas pourquoi il faudrait en oublier certaines. La traite transatlantique est quantitativement la moins importante : 11 millions d'esclaves sont partis d'Afrique vers les Amériques ou les îles de l'Atlantique entre 1450 et 1869 et 9,6 millions y sont arrivés. Les traites que je préfère appeler «orientales» plutôt que musulmanes - parce que le Coran n'exprime aucun préjugé de race ou de couleur - ont concerné environ 17 millions d'Africains noirs entre 650 et 1920. Quant à la traite interafricaine, un historien américain, Patrick Manning, estime qu'elle représente l'équivalent de 50 % de tous les déportés hors d'Afrique noire, donc la moitié de 28 millions. C'est probablement plus. Ainsi un des meilleurs spécialistes de l'histoire de l'Afrique précoloniale, Martin Klein, explique-t-il que, vers 1900, rien que dans l'Afrique occidentale française, on comptait plus de 7 millions d'esclaves. Aussi n'est-il sans doute pas exagéré de dire qu'il y en eut peut-être plus de 14 millions, pour le continent, sur une durée de treize siècles.

Y a-t-il continuité entre la traite antique et la traite moderne ?
- Non, plutôt une discontinuité. Il y avait des esclaves noirs dans tout le monde antique, mais leur nombre était limité et ils provenaient en général de guerres, pas d'un commerce. Or la traite se définit en bonne partie par l'existence d'un échange, ou «commerce». Les «traites d'exportation» des Noirs hors d'Afrique remontent au VIIe siècle de notre ère, avec la constitution d'un vaste empire musulman qui est esclavagiste, comme la plupart des sociétés de l'époque. Comme on ne peut réduire un musulman en servitude, on répond par l'importation d'esclaves venant d'Asie, d'Europe centrale et d'Afrique subsaharienne.

Quand et comment apparaît la traite occidentale ?
- Au XVe siècle, dès que les Portugais découvrent les côtes du golfe de Guinée. Mais pendant deux siècles, jusqu'au milieu du XVIIIe, ce commerce ne constitue qu'une partie des échanges entre l'Europe et l'Afrique noire. Les Européens vont chercher des esclaves, mais aussi de l'or, de l'ivoire, etc. Cela jusque vers 1650 et la «révolution sucrière», la création des grandes plantations dans les Amériques, qui requièrent une main-d'oeuvre nombreuse. La traite atlantique, en tant que commerce spécialisé, prend alors son essor.

Quel a été l'impact de ces différentes traites sur l'évolution de l'Afrique noire ?
- C'est la question sur laquelle il y a le plus de débats et le moins de certitudes. Parmi les conséquences négatives, on parle surtout de l'impact démographique, et souvent, d'ailleurs, du fait d'une lecture assez européocentrique des choses. Dans les années 60, on expliquait en effet que la révolution industrielle en Europe était la conséquence d'une révolution démographique. Appliquant le même raisonnement à l'Afrique noire, on a pensé qu'elle n'aurait pas connu cette révolution du fait de la traite. Or, aujourd'hui, plus personne ne soutient que la révolution démographique a été le préalable à la révolution industrielle occidentale.

Mais il y a quand même eu une énorme ponction de population ?
- Effrayante, mais pas si énorme à l'échelle d'un continent, sur la longue durée : dans la période la plus active de la traite atlantique, vers 1770, on comptait 76 000 départs par an, soit 0,095 % de la population africaine de l'époque. La traite n'a donc pas provoqué un déclin démographique, mais elle a introduit un élément d'instabilité dans la croissance. De plus, il faut pondérer en fonction des régions. Certaines ont terriblement souffert alors que des entités politiques se sont renforcées. Il existe aussi un impact dont on ne parle pas assez : la traite atlantique concerne un peu plus les hommes que les femmes. Donc, les tâches confiées à celles qui restent s'alourdissent et on peut aussi penser que cela a renforcé la polygamie. Globalement, les traites ont contribué à renforcer les sociétés les mieux structurées au détriment des sociétés lignagères. Le géographe Yves Lacoste a pu écrire qu'une bonne partie des élites d'Afrique occidentale venues au pouvoir au xxe siècle appartiennent à des ethnies qui ont été autrefois négrières.

Est-ce le besoin de main-d'oeuvre des plantations qui a provoqué la traite atlantique ?
- Elle est le résultat de choix qui n'étaient pas inéluctables. Et d'abord celui de la grande plantation. Une bulle du pape ayant interdit la réduction des Amérindiens en esclavage, on s'est tourné vers d'autres «sources». D'autant que la main-d'oeuvre fournie par les «engagés blancs» venus d'Europe, qui ont joué un rôle essentiel dans la première mise en valeur de l'Amérique, s'est tarie au XVIIIe siècle. On s'est donc tourné vers une main-d'oeuvre qu'on connaissait déjà et qui était «élastique», disent les économistes, car les élites africaines négrières savaient s'adapter à la demande. Le racisme n'est pas à l'origine de la traite ; il s'est développé ensuite, comme une de ses conséquences, afin de la légitimer.

Quelle était la rentabilité de la traite ?
- Des travaux d'historiens de l'économie ont montré que le profit moyen annuel de la traite était de 10 % pour les Anglais, voire moins (4 à 6 % pour les Français). À l'époque, un emprunt d'État rapportait à peu près la même chose. Il s'agit donc d'un capitalisme aventureux où on espère gagner sur un «gros coup».

Des familles ont donc pu s'enrichir. Peut-on aussi parler d'un enrichissement de l'Occident ?
On sait aujourd'hui que la révolution industrielle occidentale ne s'explique pas par la traite, l'esclavage et le commerce colonial. Les profits ainsi réalisés ont en effet été investis dans la pierre, dans la terre et dans le négoce, et non dans l'industrie. Les commerces intérieurs et intereuropéens furent de loin plus importants. Selon l'historien David Eltis, au XVIIIe siècle, la production des îles sucrières anglaises ne représentait en effet que l'équivalent de celle d'un petit comté britannique.

Et l'impact économique en Amérique ?
- Le système de la plantation ne s'est pas répandu partout, mais essentiellement au Brésil, dans les Antilles et le vieux Sud, aux Etats-Unis. La plantation était rentable : de l'ordre de 10 % par an pour le vieux Sud, mais le système esclavagiste y a aussi conduit à une forme de sous-développement économique et industriel. Les planteurs ont souvent eu une énorme influence, dans le sud des États-Unis, mais aussi au Brésil, où l'Etat, au XIXe siècle, était plus qu'à leur écoute.

Qu'est-ce qui a poussé à l'abolition de l'esclavage ?
- Pendant longtemps, on a voulu y voir le résultat du passage au capitalisme industriel et de la rentabilité décroissante de l'esclavage. Cette idée est aujourd'hui démentie. Car le système esclavagiste était rentable et il aurait pu s'adapter à la nouvelle période. On a même calculé que la productivité d'un esclave pouvait être équivalente, voire supérieure, à celle d'un salarié. D'ailleurs, qui abolit la traite ? L'Angleterre en 1807, c'est-à-dire la première puissance, qui détient plus de 50 % du marché négrier. L'abolition est due au grand réveil religieux : sous l'impulsion des pasteurs, des centaines de milliers d'Anglais signent des pétitions contre l'esclavage. Pour l'Angleterre, l'abolition aura coûté environ 1,8 % du revenu national entre 1807 et 1860.

l faut payer pour la répression du trafic, les subventions aux producteurs de sucre et l'indemnisation des planteurs qui ont perdu leurs esclaves. Or la part de la traite dans le revenu national anglais était de l'ordre de 1 %, au XVIIIe siècle. Apparemment, le coût de l'abolition a donc été supérieur à ce qu'a rapporté la traite. Mais l'économie n'est pas un jeu à somme nulle. Ce sont des négociants qui ont profité de la traite, et les contribuables en général qui ont payé pour l'abolition. De plus, la répression du trafic a servi les intérêts géostratégiques de l'Angleterre car elle s'est érigée en gendarme des mers.

Peut-on trouver un lien entre la traite orientale et la situation économique actuelle du monde arabo-musulman ?
- Il existe des milliers de pages sur les liens entre la traite atlantique et l'essor de l'Occident, mais, à ma connaissance, il n'y a pas même un article véritablement centré sur les liens entre traite orientale et économie du monde musulman. Les traites négrières orientales ont pourtant duré treize siècles et concerné 17 millions d'esclaves. Pourquoi la traite aurait-elle eu des effets économiques aux Amériques et pas dans le monde arabe ? Les grandes plantations de Zanzibar au XIXe siècle, le développement de la canne à sucre au Maroc au XVIe siècle, ou bien encore les grandes exploitations du bas Irak indiquent qu'elle a bien joué un rôle. Les esclaves ont été déterminants pour l'irrigation. En fait, la traite a permis aux économies de ce vaste monde musulman de se développer à leur rythme, sans subir de crise de main-d'oeuvre. L'apogée de la traite atlantique se situe au XVIIIe siècle. Celui de la traite orientale date du XIXe siècle.

Quel jugement portez-vous sur les polémiques déclenchées ces derniers mois en France autour de la «mémoire de l'esclavage» ?
- Les mémoires de l'esclavage sont multiples, et souvent antagonistes. Ainsi certains, aux Antilles, ont-ils critiqué les Africains qui, par le passé, ont fait le commerce des ancêtres des Noirs des Antilles. Dans le rapport remis récemment au Premier ministre par le Comité pour la mémoire de l'esclavage, on affirme qu'aucune histoire ne saurait être écrite sans prendre en compte les mémoires qu'elle suscite. L'historien ne doit pas les écarter, car elles sont un objet d'histoire. Mais son travail consiste dans leur dépassement : l'historien n'est pas un juge. Il me semble également qu'il n'appartient pas à l'État, par l'intermédiaire de la loi, de dire l'histoire, au risque de confondre histoire, mémoire et morale. Plus que d'un «devoir de mémoire», trop souvent convoqué à la barre, on a besoin d'un souci de vérité et d'analyse critique.

L'Expansion, 29 juin 2005

 

- autre interview plus récente (15 décembre 2005, toujours dans L'Expansion) :
http://www.lexpansion.com/html/A133102.html

- iconographie : Musée d'ethnographie de Genève :
http://www.ville-ge.ch/musinfo/ethg/index.php

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31 mars 2006

Pouvoirs et élites africains ont été les partenaires actifs de la traite (interview de Roger Botte)

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Bénin (ex-Dahomey)


"Pouvoirs et élites africains

ont été les partenaires actifs de la traite"

Roger BOTTE


Anthropologue, chercheur au Centre d'études africaines (CNRS-EHESS), Roger Botte, 62 ans, a d'abord travaillé sur les systèmes étatiques précoloniaux au Burundi et en Mauritanie. À partir de 1984, il étudie l'ancien État négrier de Fouta Jalon, en Guinée. lors d'une enquête sur les chanteurs, musiciens et acrobates de cette région, pour la plupart d'origine servile, il s'oriente vers l'étude de l'esclavage interne à l'Afrique. À la tête d'une équipe internationale, majoritairement composée de chercheurs africains, il a coordonné l'édition du Journal des africanistes, paru en avril 2001 sous le titre "L'ombre portée de l'esclavage : avatars contemporains de l'oppression sociale".


- Des États africains réclament à l'Occident des "réparations" pour la traite négrière qu'ils réduisent à la traite transatlantique. Pour justifiée que puisse être cette revendication, ne se fonde-t-elle pas sur une simplification du passé ?
- En effet, comment évaluer le préjudice causé par le commerce d'êtres humains et dire qui doit payer - et à qui ? Trois grandes traites ont affecté l'Afrique : deux traites pratiquées par les Arabes jusqu'au XXe siècle, l'une transsaharienne, l'autre orientale ; puis une traite transatlantique qui est le fait des Européens à partir de 1444 et qui s'amplifie au milieu du XVIIe siècle, avant de s'achever officiellement en 1807, mais qui continue en fait, illégalement, bien après.
C'est de cette seule traite transatlantique dont il est question. Or, les deux autres ont été plus précoces, plus durables et leur ponction démographique - entre douze et quinze millions de personnes - probablement équivalente. Dans tous les cas, pouvoirs et élites africains en ont été les partenaires actifs. En outre, au XIXe siècle, les djihads [guerres saintes] ouest-africains ont alimenté une traite interne considérable.

- L'historiographie de l'esclavage est jalonnée de tabous et d'interdits. Comme faut-il s'expliquer l'occultation du phénomène, en Afrique et dans les pays occidentaux ?
- L'occultation de l'esclavage interne aux sociétés africaines est largement partagée. Je vois deux raisons aux connivences qui oblitèrent le sujet : d'une part, l'abolition de l'esclavage est le fait des pouvoirs coloniaux, et les Africains n'en sont nullement les acteurs ; d'autre part, avec l'opposition colonisé/colonisateur s'est établie une analogie entre inégalité de l'esclavage et sujétion politique. Dans des contextes marqués par les luttes pour la décolonisation puis par l'idéologie tiers-mondiste, la vision de la domination coloniale comme métaphore de l'esclavage excluait toute tentative d'étudier l'esclavage réel. Aujourd'hui, en parler contredit une certaine image de la modernité africaine incompatible avec l'opprobre associé à l'esclavagisme. Enfin, comment légitimer la demande d'une indemnisation compensatoire et expiatoire, si l'on reconnaît l'existence chez soi de pratiques serviles ?

- Le marxisme avait érigé le "nègre marron" en une figure emblématique du révolté brisant ses chaînes. La fin de la guerre froide a-t-elle modifié la perception de l'esclavage ? [le "nègre marron" est celui qui s'enfuit pour vivre en liberté]
- Le marxisme a substitué une approche économique et institutionnelle à une autre qui abordait l'esclavage d'un point de vue moral, dans la tradition des théologiens et des philosophes. L'esclave révolté, dont Spartacus est le modèle, a pu illustrer la fameuse proposition sur la lutte des classes. Quant au nègre marron, voyez Hugo et son admirable Bug-Jargal. Désormais, le nègre marron offre une autre représentation de l'histoire de l'esclavage : il manifeste la réappropriation de soi.

- La démocratisation en Afrique, depuis la chute du mur de Berlin, ouvre-t-elle de nouvelles perspectives à des segments de population auparavant exclus du jeu politique parce que considérés comme étant "d'origine servile" ?
- Depuis les années 1990, nombre de groupes d'origine servile tentent d'imposer, notamment en Afrique de l'Ouest, un débat assez subversif : comment des États à prétention démocratique peuvent-ils concilier l'exigence fondamentale de la citoyenneté et la persistance de systèmes d'inégalité, de représentations stéréotypées qui alimentent un racisme ordinaire à l'égard de l'ancien esclave ou de ses descendants ? Lors du conflit opposant la Mauritanie au Front Polisario, l'enrôlement massif dans l'armée mauritanienne d'affranchis, leur prise de conscience, ont contribué à la formation, en 1978, du mouvement El-Hor - qui veut dire "homme libre" - et à l'ultime abolition, en 1891, de l'esclavage en Mauritanie.

- Ailleurs, l'abolition de l'esclavage a été présenté, rétrospectivement, comme une concession de l'Occident à une pression émancipatrice émanant de l'Afrique. N'est-ce pas plutôt le contraire ?
- En Afrique, la France interdit la traite négrière interne en 1902, puis l'esclavage en 1905. Dans les faits, il faut attendre les lois de 1946 sur l'abolition du travail forcé et la citoyenneté pour voir l'esclavage véritablement aboli. Jusque-là, le colonisateur a appliqué avec parcimonie les mesures édictées, essentiellement, pour ménager des pouvoirs coutumiers pour lesquels l'idée d'émancipation était probablement incompréhensible : son universalité, proclamée par les nations européennes, échappe à des sociétés où la question de la licéité de l'esclavage n'est même pas posée. D'ailleurs, mesures d'abolition et conquête concomitante se conjuguent pour nourrir, presque partout, la résistance : la dénégation par les pouvoirs africains du bien-fondé de l'abolition facilité leur mobilisation contre le colonialisme.

- L'abolition de la traité négrière transatlantique, en 1807, n'a donc pas marqué la fin de l'esclavage. D'où vient la pertinence sociale de la relation maître/esclave, malgré l'abrogation juridique de l'esclavage ?
- Il faut bien distinguer traite et esclavage. L'abolition de la traite transatlantique en 1807 par les Anglais, puis par d'autres nations, ne marque pas la fin de l'esclavage. Pour la France, l'abolition date de 1794, puis de 1848, après le rétablissement de l'esclavage par Bonaparte. Pour l'Afrique, on a vu les atermoiements coloniaux puis les dénégations de l'ère des indépendances.
En Afrique, la grande différence avec Rome, où la macule servile disparaît au plus tard dès la deuxième génération, tient sans doute au fait que le stigmate y est fondé sur un préjugé biologique : l'individu reçoit de ses ascendants les caractères qui le discriminent et qu'il transmet à son tour à ses descendants. D'où, pour ceux-ci la difficulté indéfiniment renouvelée de se faire reconnaître comme personnage à part entière.

- Finalement, l'esclavage est un phénomène très moderne. Quels sont les avatars actuels qui existent en Afrique et en Occident ?
- En Afrique, outre les formes canoniques de l'esclavage, le travail des enfants est omniprésent et obéit rarement à une logique salariale. Une nouvelle traite s'est également développée qui conduit des milliers d'enfants de pays pourvoyeurs vers des pays "employeurs" comme la Côte d'Ivoire, le Nigeria ou le Cameroun.
En France, à côté de l'esclavage des femmes de l'Est obligées de se prostituer, on trouve, de manière plus souterraine, plusieurs milliers de personnes en situation d'esclavage domestique. Des fillettes venues du Sud et contraintes au travail qui subissent violences psychologiques et violences physiques. On les trouve dans tous les milieux : diplomates, familles immigrées, bourgeois bon chic bon genre.

Propos recueillis par Stephen Smith, Le Monde, 31 août 2001.


site : études-coloniales

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